Logo
Imprimer cette page

Les éléments constitutifs de l’entreprise

Malgré l’absence de consécration juridique, les juges et la doctrine se sont, depuis environ un demisiècle, attachés à en dégager les caractéristiques principales.

De nombreux textes employant le terme « entreprise », comme condition de leur application, les juges et la doctrine, se sont efforcés (et s’efforcent toujours) d’en dégager les éléments constitutifs. D’un point de vue conceptuel, différentes conceptions doctrinales ont ainsi pu être développées (sur la question, voir M. Pédamon, Droit commercial, Dalloz, n°386 et suivants).

Il faut toutefois bien comprendre, qu’en l’état actuel du droit positif, aucune d’entre elles, n’a toutefois été consacrées par le législateur ou la jurisprudence. Nous en sommes, au stade, de construction de la notion. Cette construction s’avère d’autant plus complexe que les disciplines juridiques concernées (droit commercial, droit du travail, droit fiscal, droit communautaire…) retiennent des conceptions propres de la notion d’entreprise (c'est-à-dire des critères permettant de la définir et de la saisir en fonction de besoins particuliers, ce qui rend toute systématisation difficile). Parmi, les différentes conceptions qui ont été proposées, il faut retenir que :

Pour certains l’entreprise est principalement un groupement de biens affectés à une activité économique, ce qui, en tant « qu’objet de droit », lui confère un aspect purement patrimonial.

Pour d’autres, l’entreprise est plutôt une communauté de personnes animées par la volonté d’exercer une activité. Cette conception accrédite une vision « sociale » de l’entreprise considérée comme un « sujet de droit » autonome.

Pour d’autres, encore, elle est à la fois une communauté de biens, de personnes mais également une structure organisée orientée vers l’exercice d’une activité. L’entreprise serait ainsi une structure « organisée » complexe au sein de laquelle s’opposent différents intérêts que le droit doit s’efforcer de concilier (voir, J. Paillusseau, D. 1997, doctr., n° 14, p. 97 et 15, p. 157).

Pour d’autres, l’entreprise est « un centre autonome de décision exerçant une activité de nature économique » (Thierry Lamarche, « La notion d’entreprise », R.T.D. com. Oct/déc. 2006, p. 709) pour d’autres auteurs, enfin, l’existence d’une entreprise ne suppose pas seulement une activité, elle exige, un autre élément, qui est l’adoption d’une forme juridique. Puisque l’entreprise n’a pas en tant que telle la personnalité juridique, son existence implique qu’elle ait recours à une structure juridique d’accueil qui consacre sa réalité juridique.

La notion de personne morale (dont les sociétés commerciales constituent la forme la plus usuelle dans la vie commerciale) ou de commerçant, personne physique (compris comme des personnes ayant la personnalité juridique) serait précisément cette structure d’accueil de l’entreprise. Ainsi, en adoptant l’une des formes juridiques que le législateur a conçue et organisée, l’entreprise serait formalisée et en tirerait son existence et son identité propres.

Sur ce critère deux observations peuvent être faites :

D’une part, il faut constater que l’adoption d’une forme juridique ne confère pas à l’entreprise, elle-même, la personnalité morale.

D’autre part, il faut observer que rien n’empêche qu’une entreprise existe (c'est-à-dire exerce une activité) sans qu’elle ait choisi une structure d’accueil (comme, par exemple, l’adoption de la forme sociale d’une SA ou d’une SARL). Le droit français consacre en effet l’existence de groupement sans personnalité morale (comme les sociétés en participation). Ce qui rend, en réalité, l’application de ce critère complexe. Si la plupart des entreprises ont une structure d’accueil (ainsi derrière l’entreprise peut se cacher, juridiquement, par exemple, une SA ou SARL), il est possible que certaines entreprises existent sans recours à une telle structure.

Quoi qu’il en soit de ces différentes conceptions, il faut bien comprendre qu’une « entreprise » n’existe que si « certains éléments caractéristiques » sont présents. Le problème étant de savoir quels sont les éléments nécessaires, impératifs à l’existence d’une entreprise (autrement dit, quels sont ceux qui sont, juridiquement déterminants).

Sans que cette question ne soit pour l’instant tranchée certains critères (ou des conceptions) sont généralement mis en avant par les juges.

Il est parfois énoncé que entreprise est une « notion- cadre » qui suppose la réunion d’éléments nécessaires à l’exercice d’une activité. Selon cette conception, l’entreprise apparaît donc comme « un ensemble organisé de moyens. Elle comprend à la fois des moyens financiers (des capitaux), des moyens matériels (des biens nécessaires à l’activité) et des moyens humains (des dirigeants, des salariés, des actionnaires, même si une entreprise peut exister lorsqu’elle ne comprend qu’une seule personne). C’est cet ensemble de moyens » qui constitue le critère de l’entreprise. Autrement dit, dès lors qu’il peut être démontré que de tels critères sont réunis, une entreprise existe. Lorsque les juges ont à connaître de la nature juridique d’un groupement, ils considèrent qu’il s’agit d’une entreprise si la preuve est faite que tous ces critères se trouvent réunis.

Il est possible, toutefois, compte tenu des situations, que certains de ces critères fassent défauts. Aussi, d’autres approchent sont retenues.

Il est soutenu, ainsi, que l’entreprise se caractérise par son objet qui est l’exercice d’une activité (elle correspond, comme disent les économistes, à « un centre de production »). Cette conception de l’entreprise a été confirmée dans au moins un arrêt de la Cour de cassation (Civ. 1ère 28 juin 2007).

En l’espèce, le gérant d’une société civile immobilière s’était porté caution d’un prêt accordé par une banque à cette société. Ce contrat de prêt a, par la suite, été résilié. La banque s’est retournée contre le gérant pour obtenir le paiement du solde. La question s’est posée de savoir si l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier était applicable au différend (étant entendu que ce texte s’applique, selon ses propres termes, « aux entreprises »). Le gérant le contestait en estimant que la société civile n’était pas une entreprise au sens de ce texte. Les juges lui ont donné tort. Ils ont relevé que la société « avait pour objet la vente et la gestion de biens immobiliers » et qu’en conséquent elle était une entreprise relevant de l’article L. 313-22. Cet arrêt illustre donc la conception selon laquelle, un groupement exerçant une activité (ici la vente et la gestion immobilière) peut être considéré comme une « entreprise ».

La question se pose toutefois de savoir quelle doit être est la nature de cette activité. Pour qu’une entreprise existe faut-il qu’elle ait activité économique, commerciale ? Civile ? Sociale ? Est-ce qu’une entreprise peut avoir une activité non-marchande ?...

Sur ce point, plusieurs tendances semblent se dégager sans qu’aucune ne l’emporte aujourd’hui véritablement. Selon une conception classique, l’entreprise devrait avoir une activité de nature commerciale (autrement dit être le siège de la réalisation d’actes de commerce). Cette conception s’appuie notamment sur l’article L. 110-1 du Code de commerce qui fait de la réalisation de certains actes dans le cadre « d’une entreprise » des actes de commerce, actes qui confèrent ainsi à l’entreprise sa commercialité.

Selon une approche plus récente l’entreprise pourrait avoir une activité non seulement commerciale mais également civile. Ainsi, les professions civiles tout comme les professions commerciales pourraient exercer leur activité « en entreprise » ; ils se trouveraient de la sorte soumis à des règles identiques. Cette solution reste toutefois discutée en jurisprudence.

Une autre conception, plus large, de l’entreprise est parfois retenue en jurisprudence. Issue de la position prise par les juges communautaires (en dernier lieu CJCE, 5 mars 2009, aff C-350/07 Kattner Stahlau GmgH), elle conduit a admettre qu’une entreprise est une entité ayant une activité « économique ». Dans cet arrêt du 5 mars 2009, la question posée aux juges communautaires était de savoir si une caisse professionnelle d’assurance contre les accidents du travail était une entreprise au sens des articles 81 et 82 du Traité CE (ces articles, portant sur le droit de la concurrence, sont applicables « aux entreprises »). Après avoir rappelé qu’une entreprise est une « entité ayant une activité économique », les juges ont considéré que la caisse professionnelle n’en était pas une car elle opérait sans un cadre exclusivement social mettant en oeuvre un principe de solidarité et parce qu’elle était soumise au contrôle de l’Etat.

En somme, et en guise de conclusion, il faut bien constater que la notion d’entreprise reste une notion difficile à cerner.

Il est certain, comme on l’a vu, que l’entreprise n’a pas en tant que telle la personnalité juridique. Cette personnalité juridique n’a été consacrée ni par le législateur, ni par la jurisprudence, même si la loi, et les juges utilisent la notion.

Ce qui reste incertain, c’est de savoir quels sont les éléments qui caractérisent son existence. Comme on l’a vu, un certain nombre de critères sont mis en avant par la doctrine et par les juges mais il reste très difficile (compte tenu de la variété des situations, et des approches possibles) de dégager et de retenir un ou plusieurs critères suffisamment opérants pour donner une conception unitaire de l’entreprise. Elle reste encore une notion à élaborer.

Les éléments constitutifs de l’entreprise - 2.4 out of 5 based on 15 votes
Copyright © 2017. All rights reserved.