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Introduction

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Nos systèmes juridiques contiennent un ensemble de dispositions importantes en matière de discrimination à l’embauche. L’état du droit interne en la matière est dans bien des cas le fruit de la mise en oeuvre de directives européennes. Il eut tout d’abord des directives en matière de genre puis en matière de race et d’origine ethnique, religion et convictions, handicap, âge ou orientation sexuelle. L’emploi et le travail ne sont pas les seuls domaines pour lesquels le législateur communautaire est intervenu en matière de lutte contre la discrimination.

Qu’a à nous dire une théorie moderne de la justice, l’égalitarisme, sur la façon dont le législateur devrait concevoir une loi antidiscrimination et sur la manière dont le juge devrait l’interpréter ?

Le postulat central est sans équivoque, il est moralement inadmissible de considérer certains d’entre nous comme des êtres humains de seconde zone. Toute la difficulté reste alors de déterminer ce que cela implique en termes d’obligations pour chacun, en particulier en tant qu’employeurs sur le marché du travail.

Sur le plan conceptuel il importe de garder à l’esprit la distinction juridique entre un traitement différencié et une discrimination. Le premier ne devient une discrimination que si il est considéré comme illégal. Dans le langage courant le verbe discriminer est souvent utilisé de façon strictement descriptive sans connotation péjorative.

Nous nous concentrerons ici sur la question de savoir quelles différences de traitement devraient être considérées comme illégales parce qu’injustes.

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Conclusion !!!

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Le président Sarkozy a raison de s’inquiéter du nivellement par le bas, du moins s’il l’entend au sens strict. Et il a également raison de se soucier de liberté. Il a tort par contre de penser que les égalitaristes seraient naïfs au point d’ignorer chacun de ces deux points. En outre la place que Sarkozy serait prêt à donner à la liberté et à l’efficience sera probablement différente de ce que pas mal d’égalitaristes considèreraient juste. Nous avons indiqué combien la grammaire proposée par le langage des égalitaristes laisse le champ une diversité de visions. Comme pour le libertarisme, il est ainsi possible d’en proposer des versions de droite ou de gauche. Mais l’on peut avancer l’hypothèse que si Sarkozy lui‐même pouvait

être décrit comme un égalitariste, il en donnerait une version particulièrement à droite – sans jeu de mot.

Rappelons que ce qui détermine le positionnement des différentes versions de l’égalitarisme sur l’axe gauche‐droite, c’est le degré auquel un égalitariste laissera place aux incitants (égalitarisme du leximin ou classique), le degré auquel il analysera les désavantages comme le résultat de choix ou non, son positionnement quant à la question de savoir s’il convientd’y adjoindre un suffisantisme et si ce dernier doit mobiliser un seuil de suffisance élevé ou non, et enfin le degré auquel il convient de limiter le champ de l’égalisation en laissant une place importante à des libertés fondamentales.

Nous avons aussi montré que la notion d’efficience est loin d’être absente de l’égalitarisme, même si elle s’inscrit dans un cadre précis. Ce souci de l’efficience se marque a trois niveaux. D’abord, il est à l’oeuvre dans le rejet du nivellement par le bas. Mais il faut souligner que pour conjurer ce risque, l’égalitariste ne répond pas par un abandon total des préoccupations distributives.

Il n’accepte en effet d’écart par rapport à l’ég alité que pour autant que ces inégalités soient nécessaires à l’amélioration du sort du plus défavorisé. Ensuite, certains égalitaristes seront aussi tentés de rendre le leximin moins « extrême » en acceptant que l’on renonce à un bénéfice marginal pour le plus défavorisé s’il implique une perte de bienêtre considérable pour les plus favorisés. Enfin, la place accordée à la notion de responsabilité pour nos choix peut être comprise à travers le prisme de préoccupations d’efficience – et en particulier d’incitants à la prudence qui dans bien des cas est efficiente. Qu’en est‐il de la place de la liberté dans une théorie égalitariste. Ici aussi, elle se marque à trois niveaux, même s’ils diffèrent en partie des précédents. D’abord, les égalitaristes se préoccupent de distribution car ils pensent que la reconnaissance de libertés ne peut être que formelle si les personnes ne disposent pas des moyens matériels de les mettre en oeuvre. La liberté d’expression vaut peu de choses si vous n’avez pas les moyens d’atteindre ceux auxquels vous estimez important de parler. Ainsi, les égalitaristes peuvent être décrits comme ayant le souci des moyens de la liberté et d’une égalisation de ces moyens. Ensuite, l’idée de responsabilité pour nos choix peut être interprétée comme la traduction d’une préoccupation pour la liberté d’autrui. Enfin, un égalitariste acceptera aussi généralement une priorité des libertés fondamentales sur l’objectif d’égalisation. Ainsi, même si museler la population s’avérait un moyen efficace de mettre en place une plus grande égalité des revenus, un égalitariste dit « libéral » (au sens américain du terme) refuserait malgré tout la mise en place de tels moyens au nom de la liberté d’expression. Enfin, récapitulons ce que nous avons engrangé pour répondre à nos deux questions de départ. D’abord, pourquoi un égalitariste lutte‐t‐il contre les inégalités? Pour des raisons de justice plutôt que de suspense sportif par exemple. Et pour des raisons de justice qui, soit renvoient au fait que l’égalité comme telle est une bonne chose (égalitarisme classique), soit postulent que dans bien des cas – mais pas toujours – l’égalisation améliore le sort du plus défavorisé (égalitarisme leximinien). Ensuite, quelles inégalités un égalitariste vise‐t‐il à combattre ? Pas celles dont la réduction dégraderait le sort du plus défavorisé (égalitarisme du leximin), ni celles qui sont le fruit de nos choix (égalitarisme leximinien des circonstances), ni celles dont la réduction nécessiterait une atteinte à des libertés fondamentales (priorité des libertés fondamentales).

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Le suffisantisme en complément

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Certains sont relativement mal à l’aise avec la distinction choix/circonstance. Ils trouvent la distinction tantôt trop floue (car la réalité est souvent mélangée), tantôt insuffisamment justifiée et trop dure (avec ceux dont le désavantage vient d’un choix), voire trop généreuse (avec ceux dont le désavantage résulterait d’une circonstance mais ne menacerait pas la capacité des intéressés à satisfaire leurs besoins de base). Il existe cependant une doctrine qualifiée de « suffisantisme » qui peut obtenir comme complément ou comme substitut à l’égalitarisme leximinien ou classique des circonstances. Il s’agit cette fois de substituer à la distinction « choix‐circonstances » celle qui sépare nos besoins de base de ce qui ne l’est pas (besoins non‐basiques ou simples préférences). Une telle théorie qui propose donc une distinction alternative tiendra en deux principes :

1. La société se doit de veiller à ce que chacun d’entre nous dispose à tout moment des moyens nécessaires à la couverture de ses besoins de base.

2. Au delà d’une telle couverture des besoins de base, et mis à part des préoccupations pour d’autres composantes telles que les libertés publiques, la société n’aurait pas d’obligations distributives en sus. On peut constater une série de choses sous‐tendant cette doctrine « minimex » (ou RMI). D’abord, une telle théorie peut être à la fois plus et moins « généreuse » qu’un égalitarisme des circonstances. Plus parce que quelles que soient les raisons pour lesquelles je suis incapable de pourvoir à mes besoins de base, la société va veiller – parfois via des mécanismes de bons dédiés – à ce que j’ai assez pour atteindre mon seuil de besoins. Moins car un suffisantisme simple ne compense pas les victimes de désavantage dont l’état physique et les moyens seraient suffisants pour couvrir leurs besoins de base, même s’il s’agit malgré tout de handicaps significatifs qui feraient dans nos systèmes juridiques l’objet d’une indemnité pour incapacité partielle de travail par exemple. Ceci peut donc être particulièrement dur si le seuil de suffisance est placé assez bas. Cette dureté du suffisantisme lui‐même peut alors être corrigée à son tour, d’au moins deux manières. Soit, il s’agit de concevoir un seuil de suffisance particulièrement élevé. Soit, il est possible, même avec un seuil bas, de combiner le suffisantisme avec un égalitarisme des circonstances66. Dans ce dernier cas, une personne se verra garantir une couverture de ses besoins de base.

Pour le surplus, on ne lui refusera pas nécessairement de compensation. Cette dernière sera néanmoins conditionnée à la possibilité de démontrer que le désavantage concerné résulte effectivement d’une circonstance. Le suffisantisme présente des propriétés multiples qu’il serait trop long de discuter ici. Il se peut par exemple qu’il ne doive pas être évalué « sur les vies complètes » (voir séance suivante) mais plutôt en continu. De plus, le positionnement sur l’échiquier gauche‐droite dépendra du niveau du seuil de suffisance défini par la société concernée ainsi que de la question se savoir s’il est ou non combiné avec un égalitarisme des circonstances pour le surplus. Enfin, une question particulièrement intéressante consiste à comprendre pourquoi la distinction « choix –circonstance » serait jugée pertinente au‐dessus du seuil de suffisance alors qu’elle ne le serait pas en dessous. Il existe au moins deux manières de rendre compte de cette discontinuité. Soit, l’on estimerait que laisser quelqu’un tomber en dessous d’un seuil de suffisance serait inhumain, quelles que soient les raisons pour lesquelles cette personne se trouve dans cette situation. L’indifférence du suffisantisme à la distinction « choix‐circonstance » résulterait alors d’une volonté de traiter les personnes « comme des chiens ». Soit, l’indifférence à cette distinction résulterait plutôt d’un postulat factuel : en dessous d’un seuil de suffisance, aucun choix d’un agent ne pourrait être considéré comme un choix véritable. Cette seconde approche présente un mérite. Pour ceux qui souhaitent combiner suffisantisme (en dessous du seuil) et égalitarisme (classique ou leximinien) des circonstances (au‐dessus du seuil), il est possible de considérer qu’en principe, la distinction « choix‐circonstance » reste pertinente à la fois sous et au‐dessus du seuil. Mais ce qui change, c’est qu’on estime qu’il n’y a pas de choix véritable possible si l’on est en dessous d’un tel seuil.

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Qu’est ce qu’un désavantage ?

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Quelle compensation devons‐nous cependant offrir au chômeur involontaire ou à la victime d’un tabagisme passif qui ne récupèrera pas une capacité pulmonaire de 100 % ? Dans une société réelle, la rareté de certains biens (ex : emplois) a pour conséquence que les individus se retrouvent avec des paniers de biens nécessairement hétérogènes. Ils ont en outre des préférences très différentes. Par quelle procédure déterminer alors qui est plus désavantagé que son voisin et quelle compensation est due aux plus désavantagés ?

Dworkin a proposé une enchère hypothétique où les ressources externes seraient redistribuées jusqu’à ce que la part de chaque individu atteigne la même valeur d’équilibre. Chacun bénéficierait d’un pouvoir d’achat identique au départ et pourrait miser sur les ressources externes sur lesquelles portent sa préférence. Un tel mécanisme de marché est donc utilisé pour révéler l’importance que revêt pour chacun telle ou telle ressource externe. Quant aux ressources internes, il s’agit d’imaginer que chacun, connaissant ses préférences ainsi que la distribution des ressources internes dans la société, mais non l’état de ses propres ressources internes, s’assure contre le risque d’être victime de tel ou tel handicap. Cette procédure dworkinienne a été critiquée pour diverses raisons et des alternatives ont été défendues. L'on a ainsi proposé de recourir à la notion de diversité nondominée. Alors que l'enchère dworkinienne vise à aboutir à une situation où il n'y ait plus de couple de personnes où l'une préfèrerait les ressources de l'autre aux siennes (test de non‐envie), le critère de diversité non‐dominée requiert seulement qu'il n'y ait pas de couple de personnes tel que tous les membres de la société préfèreraient le panier de ressources de l'un à celui de l'autre. L'on ne saurait discuter en détail de telles propositions. Mais il importe de remarquer que les théories substantielles de l'égalité recourent elles aussi ultimement à des outils procéduraux.

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Qu’est ce qu’un choix ?

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Une chose est de justifier la nécessité de traiter différemment choix et circonstance. C’en est une autre de déterminer ce qu’est un choix. La notion de choix affleure à de multiples occasions dans le débat public. Considérons les deux exemples suivants: ‐ Principe de gratuité des secours : Les accidents de montagne en sont un exemple emblématique comme nous l’avons indiqué. Il est fréquent que le « hors‐pistes » fasse l’objet d’une clause d’exclusion dans les contrats standard d’assurance responsabilité civile. Mais il existe aussi un débat autour de l’article 54 de la loi française de février 2002 sur la démocratie de proximité qui ouvre la possibilité pour les communes d’exiger remboursement de tout ou partie des frais de secours… Interrogé à ce propos, le sénateur Jean Faure, promoteur de l’article faisait la réflexion suivante : « Il ne s’agit que d’une participation aux frais, dont le montant est laissé à l’appréciation des communes » garantit le sénateur qui, de cette façon, espère « responsabiliser les pratiquants, limiter les actes d’imprudence et les comportements imbéciles » ». Les sommes concernées peuvent être considérables. « De 3000 à 7000 euros pour une intervention banale nécessitant le recours à l’hélicoptère, la note peut monter jusqu’à 70.000 euros, voire davantage, pour un sauvetage nécessitant la présence de dizaines de secouristes pendant plusieurs jours ». ‐ La recherche d’ivresse alcoolique : « Se saouler jusqu’au coma est devenu un sport prisé parmi la jeunesse autrichienne. 1230 mineurs ont fini aux urgences entre janvier et mai. Un nombre assez alarmant pour que le gouvernement décrète une campagne d’information, un plan prohibitionniste et le contrôle systématique de l’âge des buveurs. […] Le phénomène prenant de l’ampleur et générant un coût financier (500 à 1000 euros par intervention, on cherche des responsables.[…]. Dorénavant les mineurs seront pourvus de cartes d’identité spécifiques. Jaunes pour les moins de 16 ans, bleues pour leurs aînés, qui non seulement ont le droit de boire mais ont obtenu, les premiers en Europe, le droit de vote. […]. Et si les campagnes d’informations et mesures prohibitionnistes ne portent pas leurs fruits immédiats ? La caisse d’assurance sociale de Haute‐Autriche menace d’exiger le remboursement de l’intervention : « il ne s’agit pas d’une maladie » se défend son directeur.

Deux remarques par rapport à la notion de choix. Primo, le recours à la ligne de démarcation entre choix et circonstance repose sur un postulat anthropologique selon lequel l’homme est au moins partiellement libre. Plus l’on considère les êtres humains comme déterminés, plus vaste sera le champ des inégalités à réduire (ex ante) ou compenser (ex post). Plus la part de liberté dans nos actions est jugée importante, plus il y aura de la place pour des inégalités non compensées. Les sciences sociales et naturelles ont souvent tendance à conclure au caractère plus déterminé que nous ne le pensons de nos comportements. Mais il se peut aussi que ce soit dans une certaine mesure le résultat d’un biais des sciences ellesmêmes dont la vocation est d’identifier les causes des phénomènes. Ceci dit, ce qu’il importe d’ajouter par rapport au déterminisme, c’est que certains tenants de la gauche auront tendance à expliquer le comportement des agents par des causes qui réduisent leur responsabilité. Et des acteurs de la droite auront évidemment tendance à contester de tels déterminismes, en expliquant les situations tant que possible comme résultant des choix des individus.

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Pourquoi une responsabilité pour les conséquences de nos choix ?

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On aura remarqué que le second principe (« responsabilité pour nos choix ») n’est pas la simple conséquence logique du premier, puisqu’on pourrait très bien imaginer une théorie qui compense socialement les individus à la fois des désavantages résultant de leurs circonstances et de ceux qui seraient le fruit de leurs choix. Chacun des deux principes répond en réalité à une logique propre. Le premier s’appuie sur l’intuition selon laquelle il est injuste pour une société de faire supporter à leurs seules victimes le poids de l’arbitraire social ou naturel (ex : être victime d’un handicap physique congénital ou d’une catastrophe naturelle, naître au sein d’une famille violente, sous une dictature abjecte ou sous un climat extrême). Le second principe inscrit au coeur de la théorie égalitariste elle‐même une préoccupation pour les limites de l’égalisation qui est généralement l’apanage des opposants à l’égalitarisme.

La conjonction de ces deux principes fait en sorte que dans sa version classique, l’égalitariste des circonstances va viser à réduire les inégalités résultant des circonstances et celles‐là seules.

Dans sa version leximin, l’égalitariste leximinien des circonstances veillera à mettre en place des institutions telles que le plus défavorisé en raison de ses circonstances soit dans la meilleure situation possible. Ceci diffère d’un égalitarisme radical ou des résultats, formulé par exemple en termes de niveaux de bien‐être. Ce dernier exigerait l’égalisation (ou le leximin) des résultats, quelles que soient les raisons pour lesquelles deux personnes se retrouveraient dans une situation plus désavantageuse l’une que l’autre. Soulignons que les distinctions « classique/leximinien » et «des résultats/des circonstances » se combinent ainsi en quatre cases qui constituent autant de (familles de) théories possibles. Car nous devons combiner à chaque fois les réponses à deux questions qui s’emboîtent tout en restant distinctes: « faut‐il lutter contre les inégalités ou plutôt améliorer le sort des plus défavorisés, des plus pauvres ou des plus malheureux ? », suivie de « faut‐il se soucier des plus pauvres (revenus), des plus malheureux (bien‐être) ou seulement des plus défavorisés par les circonstances ? » Nivellement accepté ? oui Nivellement accepté ? non Dist. Choix/circ. ? non Egalité classique radicale Egalité leximinien radical Dist. Choix /circ. ? oui Egalité classique des circ. Egalité leximinien des circ.

Fig. 1. Quatre types d’égalitarisme La question à se poser est cependant de savoir pourquoi l’égalitariste des circonstances –

qu’il soit classique ou leximinien – inscrit au coeur de sa théorie un principe de responsabilité pour nos choix. Il faut bien comprendre en effet que cette notion de responsabilité ne doit pas être entendue ici au sens strictement descriptif. Ce que l’égalitarisme des circonstances défend va au‐delà d’une simple constatation du type : « cette personne est causalement responsable de ce désavantage qu’elle subit ». Ce qu’il nous dit est que cette personne va être tenue de prendre en charge seule les (« de répondre seule des ») coûts liés aux désavantages résultant de ses choix. La tenir pour responsable des conséquences de ses choix est donc le résultat d’une prise de position normative. Pourquoi un tel principe ? Ou pour le dire autrement, pourquoi serait‐il problématique que ce soit la société dans son ensemble qui prenne en charge de tels coûts? La raison pour laquelle d’aucuns proposent de limiter l’égalisation classique ou leximinienne au domaine des circonstances n’a rien à voir à et égard avec l’idée selon laquelle égaliser les résultats serait utopique ou irréaliste. Elle a plutôt trait à deux autres préoccupations possibles qui renvoient potentiellement ou nécessairement à des préoccupations de justice. Ces deux raisons ne nous disent pas que l’égalitarisme classique radical est irréaliste – ce qui pourrait d’ailleurs être vrai. Elles nous disent plutôt que l’égalitarisme classique radical est injuste. La première de ces deux raisons nous vient des économistes du droit. Elle part d’une idée simple : le fait d’annoncer à des individus qu’ils seront tenus pour responsables des conséquences de leurs actes est susceptible de modifier leur comportement. Cela va en particulier les inciter à réduire les risques de conséquences négatives de leurs actes. Et dans une série de circonstances, une telle réduction des risques va être considérée comme efficiente.

Ce n’est bien sûr pas toujours le cas puisque les économistes du droit prennent aussi la peine d’identifier les conditions dans lesquelles prévoir des exonérations partielles ou totales de responsabilité – en reportant de facto le coût en cas de problème sur l’ensemble de la société dans le meilleur des cas ‐ peut être socialement efficient pour certaines activités. Mais de manière générale, l’idée de responsabilité renvoie donc ici à celle d’incitation à la prudence. Les gains d’efficience qui en résultent peuvent bénéficier à leur tour dans certaines conditions au plus défavorisé. Cela peut se faire de façon directe (lorsqu’il s’agit d’activités qui en cas d’imprudence les affecteraient particulièrement) ou via la taxation distributive, de la même manière que celle discutée plus haut à propos de l’argument des incitants appliqué à la taxation des salaires. En « responsabilisant » les agents, on met ainsi en place des incitants non pas à la production ou à l’épargne – comme dans les exemples discutés plus haut ‐ mais à la prudence.

Il existe cependant une autre idée qui traduit mieux à notre sens la logique des égalitaristes des circonstances. Si l’on me tient pour responsable des désavantages résultant de mes choix, n’est‐ce pas pour ne pas faire peser sur autrui le poids d’une compensation qu’on estimerait injuste ? Car une redistribution constante, sans limites, menacerait potentiellement la liberté réelle de chacun de nous, notre capacité à mobiliser les moyens nécessaire à la mise en oeuvre des choix que la liberté est sensée rendre possible, à investir dans le futur, etc. La manière de limiter l’ampleur de cette redistribution et donc de ménager à chacun d’entre nous les moyens d’un exercice de sa liberté consiste en l’occurrence pour les égalitaristes des circonstances à ne pas compenser les inégalités résultant des choix des personnes. Ce qui se joue donc sous la distinction choix‐circonstance, c’est une tentative d’inscrire dans la théorie égalitariste une préoccupation pour la liberté (et la propriété), pour une prérogative personnelle dont le conditions matérielles d’exercice (financières en particulier) ne soient pas constamment menacées par les besoins de redistribution résultant de l’insouciance d’autrui.

Ceci nous semble la lecture la plus plausible du recours à la distinction choix‐circonstance, plutôt que l’invocation par exemple d’un rapport fondamental entre les agents, leurs actes et leurs conséquences.

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Choix et circonstances

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Les égalitaristes traduisent l’idée « l’égale dignité » par des exigences qui dépassent ce que les philosophes qualifient d’égalité formelle et certains juristes d’égalité de traitement. Ce dernier concept au sens strict : exige qu’une fois légalement définies les catégories concernées, 2 personnes appartenant à la même catégorie légale ou même intersection d’ensemble soient traitées de manière identique. La difficulté c’est que cette notion d’égalité de traitement prend les catégories légales comme données.

Donc un système juridique sexiste ne serait pas contraire à l’égalité de traitement si les personnes appartenant à la même sou catégorie sont traités à l’identique. S’il était possible de multiplier ces catégories juridiques pour faire en sorte que chacune d’elles ne contienne qu’un seul membre, l’égalité de traitement deviendrait compatible avec toute inégalité. Distinction de différents niveaux :

1. Egalité 1 : on affirme que l’ensemble des membres d’un groupe x sont également dignes d’être titulaires de droits. Cela peut inclure les femmes dans un système sexiste, ça n’implique même pas que les femmes doivent être traitées de la même manière entre elles. Le fait d’être digne d’être porteur de droits, n’implique pas l’identité de ces droits. L’idée d’égale dignité pourrait dans certains cas mais c’est à vérifier être la traduction juridique de cette intuition. 2. Egalité 2 : on affirme que tous ceux qui appartiennent à une même catégorie légale x doivent être traités de façon identique. C’est aussi compatible avec une société sexiste mais exige que tous ceux qui appartiennent à une même catégorie légale aient les mêmes droits.

3. Egalité 3 : on affirme que l’ensemble des personnes qui appartiennent à la même catégorie doivent être traités de manière identique et on exige que les critères eux mêmes utilisés pour différencier entre ces catégories de la loi respectent certaines exigences. On ne peut pas discriminer au sein de x, ni entre x et y, si la distinction entre x et y ne satisfait pas l’exigence de z.

On se rend compte que la mobilisation notamment du concept 3 nécessite que soient proposés des critères, une des distinctions les plus convaincantes à cet égard est celle de Dworkin entre choix et circonstance. Un égalitarisme classique ou leximin qui a recours à cette distinction va alors typiquement être formulé à travers deux principes centraux : ‐ Refus de l’arbitraire naturel et social : tout désavantage résultant pour une personne de ses circonstances doit être intégralement réduit ou compensé par l’ensemble de la société.

‐ Responsabilité pour nos choix : tout désavantage résultant pour une personne de ses choix ne doit pas être réduit ou compensé par la société. 23 Deux exemples :

‐ Le cas d’une maladie congénitale inconnue à ce jour dont est victime un nouveau né. La société dans son ensemble se doit de compenser le futur enfant pour ce handicap qu’il n’a pas choisi, en mettant en place des politiques qui lui facilitent l’existence et des transferts financiers (premier principe).

‐ Le cas de quelqu’un pratiquant durant ses loisirs un sport dangereux, par exemple de l’alpinisme. C’est une activité qui n’implique pas forcément une forme d’addiction, dont les bénéfices vont principalement à l’intéressé et qui représente des couts importants pour la société en cas d’accident. Le second principe implique dans ce cas que ce soit la personne qui en supporte les couts, via par exemple une assurance obligatoire spécifique.

En principe le refus de l’arbitraire exigerait une compensation intégrale des désavantages, l’égalitarisme reste ouvert quant aux moyens à mettre en oeuvre. Cette distinction de deux principes pose 3 questions :

‐ Pourquoi recourir à la distinction entre choix et circonstance et à une limitation de la compensation collective à des désavantages résultant de circonstances ? ‐ Comment déterminer ce qui relève de la sphère des choix et ce qui est une circonstance et est ce qu’un tel égalitarisme s’en tient en réalité de façon stricte à cette distinction ?

‐ Comment déterminer ce qui constitue un désavantage ?

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Contentieux constitutionnel de l’annulation et nivellement par le bas

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Lorsque l’on met en place une cour constitutionnelle, on définit les articles sur base desquels elle est en mesure d’examiner la constitutionnalité des lois et d’éventuellement en annuler les dispositions inconstitutionnelles. Cela inclus la plupart du temps un ensemble de droits fondamentaux de statut constitutionnel et un principe d’égalité. On veille donc à mettre en place des limites permettant de préserver une distinction entre une cour de fonction juridictionnelle et un Parlement (crainte d’un gouvernement des juges, solution : limiter le rôle de telles juridictions). Typiquement une cour constitutionnelle constatant l’inconstitutionnalité d’une loi ne peut rien faire d’autre que de l’annuler, elle ne peut pas la substituer. Cela génère dans certains cas un problème de nivellement par le bas.

Exemple : Une disposition par laquelle le législateur octroie des droits à un ensemble de catégories à l’exclusion expresse de la catégorie X. Constatant le cas échéant l’inconstitutionnalité, la cour constitutionnelle pourra annuler le passage du texte concerné. Dans ce cas l’égalité est rétablie par le haut et ça ne pose pas de problème.

Par contre, si le texte plutôt que d’exclure explicitement la catégorie X, dresse une liste de titulaires de droits qui n’inclut cependant pas la catégorie X, alors qu’elle devrait le faire. Une conception stricte de la compétence de la cour constitutionnelle ne l’autorisera pas à ajouter cette catégorie à la liste. Elle ne pourra qu’annuler l’ensemble de la disposition, privant tous les titulaires des droits qui leur avaient été octroyés. L’égalité est alors rétablie par le bas.

Le nivellement par le bas n’en est pas un au sens strict puisque s’il est mis fin pour tous au droit à des prestations financières (exemple), ce sont potentiellement les contribuables qui en bénéficieront. Le renouvellement pas le bas pose potentiellement trois types de problèmes : a) Un tel nivellement par le bas va priver de leurs droits un ensemble de titulaires qui n’auront pas été entendus à la cause : problème de droit à la défense.

b) Il semble démesuré que des effets aussi différents résultant d’un constat d’inconstitutionnalité soient attachés au simple fait que le législateur ait formulé le champ d’application d’une loi soit en excluant, en incluant pas une catégorie.

c) Il se peut que le rétablissement par le bas de l’égalité porte atteinte de manière plus considérable aux prérogatives du législateur qu’un rétablissement par le haut.  Octroyer à la cour dans ce type d’hypothèses le pouvoir de compléter la loi pourrait conduire en fait à une atteinte moins forte à la loi qu’une annulation complète de la disposition concernée.

Le juge constitutionnel est il réellement contraint par la nature de ses pouvoirs à égaliser par le bas à chaque fois qu’il se trouve face à une non inclusion inconstitutionnelle de titulaires potentiels d’un champ d’application, plutôt qu’à une exclusion ?

Jurisprudence lacunes : un arrêt lacune va typiquement conclure que la violation de la constitution ne trouve pas son origine dans l’article incriminé mais une lacune de législation, cela permet à la cour d’inviter le législateur à agir sans devoir annuler la disposition concernée.

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L’argument des (dés)incitants

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La distinction entre égalitarisme classique et égalitarisme du leximin nous invite à considérer des situations où l’augmentation des inégalités peut aller de pair avec une amélioration du plus défavorisé. Ce n’est pas possible dans les jeux à somme nulle. Mais il y a un type de situation où c’est le cas : celle ou des désincitants à la production, à l’épargne sont à l’oeuvre. Si la taille du gâteau à diviser est donnée, la manière dont on le découpe n’aura aucune influence sur sa taille. Par contre, il est raisonnable d’affirmer que dans bien des cas, la manière dont on découpe le gâteau aura une influence sur sa taille.

Situation où l’augmentation des inégalités s’accompagne aussi d’une amélioration du sort du plus défavorisé. L’égalitarisme classique et celui du leximin ne convergent pas dans ce type de situation, ce qui rien la distinction théorique pertinente.

Un égalitariste classique se soucie de la taille relative des parts du gâteau et reste étonnamment indifférent à la taille de celui ci. Un égalitariste leximinien préfèrera le gâtion dont la plus petite part est plus grande que la plus petite part des gâteaux alternatifs. Pour deux gâteaux de même taille il préfèrera le gâteau le plus également divisé puisque c’est celui dont la plus petite part sera la plus grande possible. Mais si les gâteaux sont de taille différente, il se peut qu’il préfère le plus grand même si il est plus inégalement divisé pour autant que sa plus petite part soit plus grande que la plus petite part du plus petit gâteau.

Une théorie agrégative comme l’utilitarisme ne se préoccupera que de la taille d’un gâteau de bien être. Si il s’agit d’un gâteau de biens de consommation, l’utilité marginale décroissante l’encouragera à choisir parmi des gâteaux de taille égale, celui qui est le plus également divisé. Il aura tendance une vois retraduit en gâteau de bien être à correspondre à un gâteau plus grand que le gâteau moins également divisé. Limites de cet argument de désincitants :

‐ Le domaine d’application est limité. Il ne couvre pas les jeux à somme nulle où le niveau de production ou d’épargne est donné . ‐ Pour que les incitants soient pertinents pour un égalitariste du leximin, il faut que les trois conditions factuelles soient satisfaites : élasticité, gain net de recette fiscale, caractère redistributif de l’utilisation des recettes.

‐ Cela pose une difficulté morale centrale, l’Etat est à la merci de la bonne volonté productive de ses citoyens et la question est de savoir s’il est nécessairement juste pour les agents économiques concernés de réagir ainsi aux variations de pression fiscale. Deux choses se jouent donc, d’une part la question de savoir dans quelle mesure il est nécessaire et légitime pour un Etat d’attendre de ses contribuables qu’ils soient mus à un degré significatif par des objectifs égalitaires. D’autre part, il s’agit de déterminer dans quelle mesure un travailleur effectivement mû par de telles valeurs serait en mesure d’accorder une place à des champs tels que sa vie affective dans le cadre d’une activité artistique. Dans les deux cas, ce qui se joue est une préoccupation pour la liberté des individus.

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